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Typote time : la coquille typographique

La coquille est une erreur typographique occasionnée par des caractères placés, par inadvertance ou manque de soins, dans un cassetin autre que celui qui leur est assigné.
Plusieurs légendes circulent sur l’origine de cette célèbre expression, une ode lui est même dédiée.

Si, en lyonnais, coquer signifiait se faire la bise, ce verbe était partout ailleurs en France, un synonyme assez vulgaire de tromper, arnaquer.
Autrefois, les pèlerins revenant de Rome ou de Terre Sainte étaient reconnaissables au port de la fameuse coquille Saint-Jacques (choisie comme emblème par de nombreux imprimeurs), et bénéficiaient  partout d’un accueil favorable et d’une généreuse hospitalité. De nombreux mendiants ordinaires, vrais « coquillards » promis au gibet pour leurs fautes, usurpèrent sans vergogne ce symbole de purification. 
La coquille typographique métamorphoserait donc un « homme de rien » en un « homme de bien » ; une action « indigne » en une action « insigne ».

Selon une autre légende, très répandue en raison de son aspect grivois, mais sans doute anecdotique, la coquille tiendrait son nom de l'omission de la lettre « q » dans le mot « coquille »… Cette théorie inspira Boris Vian dans une lettre adressée au collège de Pataphysique ; Pierre Desproges s’en amusa également le 11 juin 1986 dans l'une de ses Chroniques de la haine ordinaire, intitulée « Coquilles » ; André Gide plaisantait même avec Jean Cocteau autour de l’exaspération de Rosny face aux trop nombreuses erreurs « où un typo négligent ou malicieux avait laissé tomber le q ».
Il existe depuis peu une dernière théorie, encore plus loufoque, que je ne place pas du tout en pole position, si je puis dire, selon laquelle l’expression « coquille » viendrait logiquement de la coquille d'œuf. Et que jadis, du blanc d'œuf étant utilisé pour nettoyer les compositions typographiques, quelques petits morceaux de coquilles pouvaient rester, parfois, collés au-dessus, faisant bouger les caractères, occasionnant des erreurs. 
Mais qui a pondu une telle ineptie ?

Quelle que soit la véritable origine de cette expression, la coquille est, comme on l’a vu, une faute typographique résultant de la mauvaise distribution des caractères dans la casse.
Méconnue du grand public, cette distribution fait partie intégrante du travail de la composition manuelle. « Faire et défaire, tel est mon métier » avons-nous coutume de dire, nous autres typographes. Néanmoins, nombreux furent les confrères à déléguer cette tâche fastidieuse aux apprentis, s’en déchargeant volontiers dès que l’occasion se présentait afin de se consacrer à des travaux plus créatifs et valorisants.
Or, pas de typographie sans distribution ! Et cette étape essentielle doit être, au contraire, confiée à des esprits aguerris, attentifs, ayant le compas dans l’œil qui leur confère une connaissance des polices, corps, blancs divers et variés. 
Malgré mille attentions, les coquilles s’accrochent aux casses, telles des bernicles à leur rocher.
Notre atelier typographique ne déroge pas à cette réalité puisque de nombreuses mains novices et inexpérimentées, juvéniles ou pas, viennent découvrir la composition manuelle comme Gutenberg. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, ces attrape-science occasionnels, déboussolés par ce monde à l’envers, mais motivés par une envie d’apporter leur pierre à l’édifice graphique, se chargent spontanément de ranger les b dans les d ; les p dans les q ; les n avec les u ; les 6 dans les 9 ; les I dans les l ; pire, le romain dans l’italique, le maigre dans le gras. Et ce n’est qu’au prix d’une patiente et quotidienne abnégation, que nous nous employons, quotidiennement, à remettre bon ordre à cette cacophonie typographique.

Si, dans le composteur, une coquille est détectée par le compositeur, il la rectifie aussitôt facilement. Ni vu, ni connu.
Plus visible, mais non définitif, la coquille est imprimée sur l’épreuve, il faudra la corriger – un large choix de signes de correction typographique existent- et parfois même remanier toute la composition.
Par contre, si le tirage complet est déjà effectué, un dilemme se pose : tout refaire ou laisser tel quel au risque de décevoir, perdre le client.

Face au nombre croissant des fautes dans les livres, dès au moins le XVIe siècle,  on les réunit à la fin des volumes sous le titre d’Errata.  Comme on dit, faute avouée…

Même si souvent, les coquilles sont imputables au compositeur, sensé se relire, corriger lui-même les fautes du client, vérifier les orthographes ou traductions, reconnaissons-lui des circonstances atténuantes : copies illisibles ; énièmes modifications de dernière minute ; éclairage défaillant. 
Après tout, l’entière responsabilité repose sur les épaules du correcteur, (souvent le maître-imprimeur), qui lui seul, signe le bon-à-tirer. 

Les imprimeurs ont beau être soigneux, leurs correcteurs ont beau être attentifs, il s’est toujours glissé dans leurs éditions des erreurs plus ou moins nombreuses, plus ou moins graves. Si bien, qu’il n’existe que peu d’impressions sans aucune faute. Cependant, De Subtilitate de  Jérôme Cardan, imprimé à Paris en 1557 par le rigoureux Vascosan est réputé pour n’en contenir aucune. 
A contrario, vers 1785, un présomptueux anglais du nom de H. Johnson publia une notice relative à son nouveau procédé révolutionnaire, au moyen duquel l’erreur typographique devait disparaître de la littérature : on y lut Najesty pour Majesty ! Une pépite !
Étonnamment, on relie plus consciencieusement les textes longs et par conséquent, on survole rapidement les courts, considérés comme sans risques. Erreur de débutant ! Les coquilles les plus grosses échappent ainsi à notre correction, se complaisent dans les titres, achevés d’imprimer, couvertures etc. 

La première coquille, semble être dans le Psautier liturgique imprimé à Mayence, en 1457, par Schoiffer, l’associé de Gutenberg. Il porte au colophon la première erreur typographiée qui ait été constatée jusqu’ici : Spalmorum pour Psalmorum.
Autre célèbre perle, citons aussi celle de Pierre Didot. Au sommet de sa longue et prestigieuse carrière d’imprimeur, il se mit en tête de couronner sa production par un pur chef-d’œuvre typographique. Il choisit pour cela un classique de Fénelon : Télémaque. On se mit à l’œuvre, multipliant les épreuves. Malgré tous ces soins, un soir on apporta au vénérable Didot (qui vécut 92 ans), le magnifique livre imprimé. Il manqua prendre un coup de sang en lisant sur le titre, où tous les correcteurs de l’atelier étaient passés : LÉTÉMAQUE.

Mais toutes les erreurs typographiques ne sont pas des coquilles. Elles sont multiples, diverses. Citons le bourdon ; le doublon ; l’addition/suppression ; l’interversion ; la transposition ; l’ânerie ; la facétie ; le mastic ou la lézarde.

La coquille typographique, fruit de la composition manuelle, aurait dû être éradiquée avec la fin du plomb. Or, l’erreur restant humaine, elle progresse siècle après siècle, s’est formée aux nouvelles technologies, se matérialise dans la dématérialisation, nargue les correcteurs automatiques, fait régulièrement la une des journaux, allant même jusqu’à s’afficher en 4x3m, bafouant règles et code typographiques.
Puisqu’il est admis que les paroles s’envolent mais que les écrits restent, la conchilio-typographie peut encore s’attendre à un bel avenir !

Fernande Nicaise, compositrice typographe
 

coquille typographique
Extrait du Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale.
© Imprimerie nationale, 2002, p. 58-59.